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en dérive.

Puisque M. Serge avait déjà reconnu, d’une part, que le courant, après avoir remonté au nord, s’infléchissait vers le nord-ouest à une cinquantaine de lieues en dehors du détroit, et, d’autre part, que le glaçon suivait cette direction depuis quelques jours, il s’agissait de chercher s’il se trouvait des terres en vue dans le nord-ouest. Précisément, à une vingtaine de lieues du continent, la carte indiquait le gisement d’une grande île que les géographes désignent sous le nom d’île Wrangel, dont les contours ne sont qu’à peine déterminés sur sa partie septentrionale. Il était très probable, d’ailleurs, que le glaçon ne l’accosterait pas, si le courant continuait à l’entraîner à travers le large bras de mer qui la sépare de la côte sibérienne.

M. Serge n’eut aucun doute sur l’identité de l’île Wrangel. En effet, entre les deux caps que projette sa côté méridionale, le cap Hawan et le cap Thomas, elle est dominée par un volcan en activité, marqué sur les cartes récentes. Ce ne pouvait être que le volcan aperçu par Kayette et dont la lueur était devenue distincte à la chute du jour.

Il fut d’après cela facile de reconnaître la route suivie par le glaçon depuis sa sortie du détroit de Behring. Après avoir contourné la côte, il avait doublé le cap Serdtse-Kamen, la baie Kolioutchin, le promontoire de Wankarem, le cap Nord ; puis il s’était engagé à travers le canal de Long, qui sépare l’île Wrangel du littoral de la province des Tchouktches.

Vers quels parages le glaçon serait-il entraîné, lorsque le courant l’aurait rejeté hors du canal de Long ? Il était impossible de le prévoir. Ce qui devait préoccuper plus particulièrement M. Serge, c’est que, du côté du nord, la carte ne mentionne aucune autre terre. La banquise s’étend sur cet immense espace, dont le centre est formé par le pôle même.

La seule chance de salut à laquelle on pût se rattacher désormais, c’était que la mer se congelât en entier sous l’action d’un froid plus intense — ce qui ne pouvait tarder, ce qui aurait dû se produire depuis plusieurs semaines déjà. Alors la dérive s’arrêterait