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en dérive.

M. Cascabel ne pouvait se consoler. Son chagrin débordait. Il s’accusait d’avoir causé cette catastrophe. Des chevaux traverser une mer, est-ce que cela s’était jamais vu ?… Et il pensait plus à eux peut-être qu’aux embarras qu’entraînait leur disparition.

« Oui ! c’est un irréparable malheur dans les conditions où nous a mis cette débâcle, dit M. Serge. Que nous autres, hommes, nous puissions supporter les privations, les fatigues qui résulteront de cette perte, soit ! Mais Mme  Cascabel, mais Kayette, Napoléone, presque des enfants, comment feront-elles, lorsque nous aurons abandonné la Belle-Roulotte

— L’abandonner !… s’écria M. Cascabel.

— Il le faudra bien, père !

— Vraiment, dit M. Cascabel, en se menaçant de son propre poing, c’était tenter Dieu que d’entreprendre un tel voyage !… Suivre une pareille route pour revenir en Europe !

— Ne vous laissez pas abattre, mon ami, répondit M. Serge. Envisageons le danger sans faiblir. C’est le plus sûr moyen de le surmonter !

— Voyons, père, ajouta Jean, ce qui est fait est fait, et nous avons tous été d’accord pour le faire. Ne t’accuse donc pas d’avoir été trop imprudent, et retrouve ton énergie d’autrefois. »

Mais, malgré ces encouragements, M. Cascabel était accablé, et sa confiance en lui-même, sa philosophie naturelle, avaient reçu un rude coup.

En attendant, M. Serge cherchait, par tous les moyens à sa disposition, boussole consultée, points de repères reconnus, à se rendre compte de la direction du courant. C’est même à ce genre d’observations qu’il consacra les quelques heures de jour dont s’éclairait l’horizon.

Ce travail n’était pas facile, car les points de repère se modifiaient sans cesse. Du reste, au-delà du détroit, la mer paraissait être libre sur une vaste étendue. On le voyait avec cette température anormale, jamais l’ice-field arctique n’avait été complètement formé. S’il en