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césar cascabel.

Behring, leur dernière chance eût été d’être attirés par le courant du sud, puis ramenés à la côte asiatique… C’était le courant du nord qui les entraînait au large !

Une fois engagé à travers la mer Glaciale, que deviendrait le glaçon, s’il ne se dissolvait pas, s’il résistait aux chocs ? Irait-il se perdre sur quelque terre arctique ? Poussé par les vents d’est qui dominaient alors, pendant des centaines de lieues, ne serait-il pas jeté sur les écueils du Spitzberg ou de la Nouvelle-Zemble ? Dans ce dernier cas, bien que ce ne pût être qu’au prix d’effroyables fatigues, les naufragés parviendraient-ils à regagner le continent ?

C’est aux conséquences de cette dernière hypothèse que songeait M. Serge. Il en causait avec M. Cascabel et Jean, tout en fouillant du regard l’horizon perdu au milieu des brumes.

« Mes amis, dit-il, nous sommes, sans nul doute, en grand péril, puisque le glaçon peut à chaque instant se rompre, et qu’il nous est impossible de l’abandonner…

— Est-ce là le plus grand danger qui nous menace ? demande M. Cascabel.

— Pour le moment, oui ! répondit M. Serge, mais, avec la reprise du froid, ce danger diminuera et finira même par disparaître. Or, à cette époque et sous cette latitude, il est impossible que le relèvement de la température se maintienne au-delà de quelques jours.

— Vous avez raison, monsieur Serge, dit Jean. Seulement, si le glaçon résiste… où ira-t-il ?

À mon avis, ce ne sera jamais très loin, et il ne tardera pas à se souder à quelque ice-field. Alors, dès que la mer sera définitivement prise, nous essaierons de gagner le continent, afin de reprendre notre ancien itinéraire…

— Et comment remplacerons-nous notre attelage englouti ? s’écria M. Cascabel. Ah ! mes pauvres bêtes ! mes pauvres bêtes !… Monsieur Serge, ces braves serviteurs, ils faisaient partie de la famille, et c’est ma faute si… »