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césar cascabel.

s’étendait à une dizaine de lieues sur les trois quarts de l’horizon, et on ne pouvait la manquer.

Mais il fallait y arriver, et la première condition, c’était que la Belle-Roulotte ne s’engloutît pas dans les profondeurs de la mer de Behring !

Cependant, si ce danger était le plus à redouter, il n’était pas le seul. À chaque instant, prise d’écharpe par cette rafale du sud-est, la voiture risquait d’être culbutée. Par prudence, il avait même fallu en faire descendre Cornélia, Napoléone et Kayette. MM. Serge et Cascabel, Jean, Sandre et Clou se cramponnaient aux roues, luttaient pour la retenir contre le vent. On comprend quel peu de chemin devaient accomplir les chevaux dans ces conditions, alors qu’ils sentaient le sol fuir sous leurs pieds.

Vers cinq heures et demie du matin — 26 octobre — au milieu de ténèbres aussi profondes que celles qui baignent les espaces interstellaires, on fut obligé de s’arrêter. L’attelage ne pouvait plus avancer. Des dénivellations agitaient la surface du champ, soulevé par cette houle que la bourrasque chassait des parages inférieurs de la mer de Behring.

« Comment nous tirer de là ?… dit Jean.

— Il faut retourner à l’îlot ! s’écria Cornélia, qui ne parvenait pas à calmer l’épouvante de Napoléone.

— Ce n’est plus possible maintenant ! répondit M. Serge.

— Et pourquoi ?… répliqua M. Cascabel. J’aime encore mieux me battre contre des phoques que de…

— Je vous répète qu’il nous est maintenant interdit de retourner à l’îlot ! affirma M. Serge. Il faudrait marcher contre la rafale, et notre voiture ne pourrait résister ! Elle sera démolie, si ne elle fuit pas devant la tourmente !…

— Pourvu que nous ne soyons pas obligés de l’abandonner !… dit Jean

— L’abandonner ! s’écria M. Cascabel. Et que deviendrions-nous sans notre Belle-Roulotte !…