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césar cascabel.

jamais il n’avait si vivement désiré qu’il fît un froid à fendre des pierres.

Pourtant, il importait d’être de l’autre côté du détroit avant que l’hiver eût définitivement pris possession de ces parages. Comme il ne serait dans toute sa rigueur que vers les premières semaines de novembre, la Belle-Roulotte aurait le temps de gagner les territoires méridionaux de la Sibérie. Là, dans quelques bourgades, on attendrait la saison favorable pour se diriger vers les monts Oural.

En ces conditions, Vermout et Gladiator pourraient, sans trop de fatigue, suffire à la traversée des steppes. La famille Cascabel arriverait à temps pour prendre part à la foire de Perm, c’est-à-dire en juillet de l’année prochaine.

Et toujours ces glaçons qui continuaient à remonter vers le nord, emportés par le courant chaud du Pacifique ! Toujours une flotille d’icebergs qui dérivaient entre les rives du détroit, au lieu d’un immobile et solide ice-field !

Cependant, le 13 octobre, on constata un certain ralentissement dans cette dérive. Vers le nord, très probablement, s’était accumulée une embâcle, qui lui faisait obstacle. En effet, aux dernières limites de l’horizon, apparaissait une ligne continue de sommets blancs, qui indiquait la prise totale de la mer arctique. La réverbération blafarde de la banquise emplissait l’espace, et la solidification complète ne tarderait pas à se produire.

Entre-temps, M. Serge et Jean consultaient les pêcheurs de Port-Clarence. Plusieurs fois déjà, tous deux avaient cru que le passage pouvait être tenté : mais les marins, qui « connaissaient bien leur détroit », avaient conseillé d’attendre.

« Ne vous pressez pas, disaient-ils. Laissez faire le froid !… Il n’a pas encore été assez vif pour former l’ice-field !… Et puis, quand bien même la mer serait prise de ce côté du détroit, rien ne prouve qu’elle le serait de l’autre côté, surtout dans les parages de l’îlot Diomède ! »

Et le conseil était sage.