M. Cascabel, non sans quelques bourrades, fut ramené incontinent à la Belle-Roulotte, où sa mine décontenancée apprit qu’il n’avait point réussi.
Décidément, est-ce que la demeure roulante des Cascabel allait se transformer en demeure sédentaire ? Est-ce que la barque qui portait le saltimbanque et sa fortune allait rester échouée sur la frontière colombo-alaskienne, comme un navire que la mer, en se retirant, laisse à sec au milieu des roches ? En vérité, cela n’était que trop à craindre.
Qu’elle fut triste, la journée qui s’écoula dans ces conditions, et aussi les journées qui suivirent, sans que la famille pût se décider à prendre une résolution !
Par bonheur, les vivres ne manquaient pas ; il restait une suffisante provision de ces conserves que l’on comptait d’ailleurs renouveler à Sitka. En outre, le gibier était étonnant aux alentours. Seulement Jean et Wagram avaient bien soin de ne pas s’aventurer hors du territoire colombien. Le jeune garçon n’en eût pas été quitte pour la confiscation de son fusil et une amende au profit du fisc moscovite.
Cependant le chagrin s’était très sérieusement emparé de M. Cascabel et des siens. Il semblait même que les animaux en eussent leur part. Jako bavardait moins qu’à l’ordinaire. Les chiens, la queue basse, poussaient de longs aboiements d’inquiétude. John Bull ne se démenait plus en contorsions et grimaces. Seuls, Vermout et Gladiator paraissaient accepter volontiers cette situation, n’ayant rien à faire qu’à paître l’herbe grasse et fraîche que leur offrait la plaine environnante.
« Il faut pourtant prendre un parti ! » répétait parfois M. Cascabel en se croisant les bras.
Évidemment, mais lequel ?… Lequel ?… Voilà ce qui n’aurait point dû embarrasser M. Cascabel car, à vrai dire, il n’avait pas le choix, il fallait revenir en arrière, puisqu’il était défendu d’aller en avant. Finir le voyage par l’Ouest qui avait été si résolument entrepris ! Nécessité de retourner sur ce sol maudit de la Colombie anglaise, puis de se lancer à travers les prairies du Far-West, afin d’atteindre le littoral