M. Cascabel se retrouva tout penaud sur le territoire de la Colombie anglaise.
C’était, on en conviendra, une désagréable situation, et en même temps des plus inquiétantes. Tous les plans étaient renversés. L’itinéraire adopté avec tant d’enthousiasme, il fallait renoncer à le suivre. Le voyage par l’ouest, le retour en Europe par la Sibérie asiatique, devenait impossible, faute de passeport. Regagner New York à travers le Far West, cela se pouvait faire évidemment dans les conditions habituelles. Mais l’océan Atlantique, comment le franchir sans paquebot, et comment prendre passage à bord d’un paquebot sans argent pour payer sa place ?
Quant à se procurer, chemin faisant, la somme nécessaire à une telle dépense, il eût été peu sage de l’espérer. D’ailleurs, combien de temps aurait-il fallu pour la recueillir ? La famille Cascabel — pourquoi ne point l’avouer ? — devait être usée aux États-Unis. Depuis vingt ans, il n’était guère de villes ou de bourgades qu’elle n’eût exploitées sur le parcours du Great-Trunk. Maintenant, elle ne récolterait pas même en cents ce qu’elle récoltait autrefois en dollars. Non ! à reprendre les routes de l’est, c’étaient des retards infinis, c’étaient des années peut-être, qui s’écouleraient avant qu’il fût possible de s’embarquer pour l’Europe. Ce qu’il fallait à tout prix, c’était trouver une combinaison qui permît à la Belle-Roulotte d’atteindre Sitka. Voilà ce que pensaient, ce que disaient les membres de cette intéressante famille, lorsque les trois agents l’eurent abandonnée à ses pénibles réflexions.
« Nous sommes dans une belle passe ! dit Cornélia, en secouant la tête.
— Ce n’est pas même une passe, répondit M. Cascabel, c’est une impasse, c’est un cul-de-sac ! »
Allons, vieux lutteur, lutteur des arènes publiques, est-ce que les moyens vont te manquer pour triompher de la mauvaise fortune ? Est-ce que tu vas te laisser accabler par la malchance ? Est-ce que toi, un saltimbanque ferré sur tous les tours et tous les trucs, tu ne parviendras