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LES FROIDS DE L’ESPACE.

animé de sa formidable vitesse initiale, voulut savoir quelles auraient été les conséquences de cet arrêt.

« Mais, répondit Barbicane, je ne vois pas comment le projectile aurait pu être arrêté.

— Supposons-le, répondit Michel.

— Supposition irréalisable, répliqua le pratique Barbicane. À moins que la force d’impulsion ne lui eût fait défaut. Mais alors, sa vitesse aurait décru peu à peu, et il ne se fût pas brusquement arrêté.

— Admets qu’il ait heurté un corps dans l’espace.

— Lequel ?

— Ce bolide énorme que nous avons rencontré.

— Alors, dit Nicholl, le projectile eût été brisé en mille pièces, et nous avec.

— Mieux que cela, répondit Barbicane, nous aurions été brûlés vifs.

— Brûlés ! s’écria Michel. Pardieu ! je regrette que le cas ne se soit pas présenté « pour voir ».

— Et tu aurais vu, répondit Barbicane. On sait maintenant que la chaleur n’est qu’une modification du mouvement. Quand on fait chauffer de l’eau, c’est-à-dire quand on lui ajoute de la chaleur, cela veut dire que l’on donne du mouvement à ses molécules.

— Tiens ! fit Michel, voilà une théorie ingénieuse !

— Et juste, mon digne ami, car elle explique tous les phénomènes du calorique. La chaleur n’est qu’un mouvement moléculaire, une simple oscillation des particules d’un corps. Lorsqu’on serre le frein d’un train, le train s’arrête. Mais que devient le mouvement dont il était animé ? Il se transforme en chaleur, et le frein s’échauffe. Pourquoi graisse-t-on l’essieu des roues ? Pour l’empêcher de s’échauffer, attendu que cette chaleur, ce serait du mouvement perdu par transformation. Comprends-tu ?

— Si je comprends ! répondit Michel, admirablement. Ainsi, par exemple, quand j’ai couru longtemps, que je suis en nage, que je sue à grosses gouttes, pourquoi suis-je forcé de m’arrêter ? Tout simplement, parce que mon mouvement s’est transformé en chaleur ! »

Barbicane ne put s’empêcher de sourire à cette repartie de Michel. Puis, reprenant sa théorie :

« Ainsi donc, dit-il, dans le cas d’un choc, il en eût été de notre projectile comme de la balle qui tombe brûlante après avoir frappé la plaque de métal. C’est son mouvement qui s’est changé en chaleur. En conséquence, j’affirme que si notre boulet avait heurté le bolide, sa vitesse, brusquement anéantie, eût déterminé une chaleur capable de le volatiliser instantanément.