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chez un pêcheur de noroë.

dit le docteur, dont les lunettes semblèrent à ce moment briller d’une profonde ironie. Vous aurez écrit au gouverneur de Bergen, fait insérer une annonce dans les journaux ?

— Moi ! s’écria le pêcheur, je n’ai rien fait de pareil !… Dieu sait d’où venait le bébé, et qui s’en inquiétait ?… Est-ce que j’avais le moyen de dépenser de l’argent pour retrouver des gens qui se souciaient fort peu de lui ?… Mettez-vous à ma place, monsieur le docteur… Je ne suis pas millionnaire, moi !… Bien sûr, quand nous aurions dépensé tout notre avoir, nous n’aurions rien découvert !… On a fait de son mieux, on a élevé le petit comme son propre fils, on l’a aimé, choyé…

— Plus encore que les deux autres, s’il est possible !… interrompit Katrina en s’essuyant les yeux du coin de son tablier, car, si nous avons quelque chose à nous reprocher, c’est peut-être de lui avoir donné une trop grande part de notre tendresse !

— Dame Hersebom, vous ne me ferez pas cette injure de supposer que vos bontés pour le pauvre petit naufragé m’inspirent un autre sentiment que la plus vive admiration ! s’écria le docteur. Non, vous ne pensez pas une chose pareille !… Mais si vous voulez que je parle avec une entière franchise, je crois que cette tendresse même vous a aveuglés sur votre devoir ! Ce dernier étant avant tout de rechercher la famille de l’enfant dans la mesure de vos forces ! »

Il y eut un grand silence.