Page:Verne, Laurie - L’Épave du Cynthia.djvu/33

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

27
chez un pêcheur de noroë.

poings fermés ! Il était bien un peu pâlot et froid, mais paraissait n’avoir pas trop souffert de son aventureux voyage, s’il fallait en juger par la vigueur avec laquelle il se mit à brailler en s’éveillant, aussitôt qu’il ne se sentit plus bercé par les vagues. Nous avions déjà notre Otto, et je savais comment se gouvernent ces moutards. Je m’empressai donc de faire une poupée avec un bout de chiffon, de la tremper dans un peu d’eau coupée de brandevin[1] et de la lui donner à sucer !… Il se calma tout de suite et parut accepter ce cordial avec un véritable plaisir. Mais j’avais comme une idée qu’il ne s’en contenterait pas longtemps. Aussi n’eus-je rien de plus pressé que de rentrer à Noroë. J’avais, bien entendu, détaché le berceau, et je l’avais déposé à mes pieds dans le fond du bateau. Tout en tenant l’écoute de ma voile, je regardais le pauvre petit être, et je me demandais d’où il pouvait bien venir. D’un navire naufragé, sans nul doute ! La mer avait été très mauvaise dans la nuit, le vent avait soufflé en ouragan, et les désastres avaient dû se compter par douzaines. Mais par quel concours de circonstances cet enfant avait-il échappé au sort de ceux qui avaient charge de lui ? Comment avait-on pu songer à l’attacher sur une bouée ? Depuis combien d’heures flottait-il ainsi sur la cime des vagues ? Qu’étaient devenus son père, sa mère, ceux qui l’aimaient ? Autant de

  1. Eau-de-vie scandinave.