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l’épave du cynthia.

pas connaître sa famille et sa patrie devenait un grief contre lui. Il essaya un jour d’en raisonner avec Kajsa, de lui faire entendre l’injustice et la cruauté d’un pareil préjugé ; mais elle ne daigna même pas l’écouter. Plus ils grandissaient tous deux, plus cet abîme qui les séparait semblait s’élargir. À dix-huit ans, Kajsa avait fait ses débuts dans le monde. Elle y était choyée et adulée comme une héritière, et ces hommages la confirmaient dans l’opinion qu’elle était faite d’une autre pâte que le commun des mortels.

Erik, d’abord affligé de ces dédains, avait fini par s’en indigner et par se jurer d’en triompher. Ce sentiment d’humiliation avait même une grande part dans l’ardeur passionnée qu’il apportait à ses études. Il rêvait de se placer si haut dans l’estime publique, à force de travail, que chacun fût obligé de s’incliner. Mais il se jurait aussi de partir à la première occasion, de ne pas rester sous ce toit où chaque jour était marqué pour lui par une secrète humiliation. Seulement il fallait que le bon docteur ignorât les motifs de ce départ. Il fallait qu’il l’attribuât uniquement à la passion des voyages. Et c’est pourquoi Erik parlait fréquemment de s’engager, au terme de ses études, dans quelque expédition scientifique. C’est pourquoi, tout en suivant à Upsal les cours de l’école de médecine, il se préparait par les travaux et les exercices les plus sévères à la vie de fatigues et de dangers qui est le lot des grands voyageurs.