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tudor brown, esquire.

serve et avait fait des efforts héroïques pour devenir son ami. Mais Kajsa ne s’était jamais habituée à l’idée de voir cet « intrus », comme elle l’appelait, prendre pied chez le docteur, y être traité en fils adoptif et devenir le favori des trois amis. Les succès scolaires d’Erik, sa bonté, sa douceur, loin de lui faire trouver grâce devant elle, devenaient plutôt de nouveaux motifs de jalousie. Au fond, Kajsa ne pardonnait pas au jeune garçon de n’être qu’un pêcheur et un paysan. Il lui semblait que cela faisait déchoir la maison et elle-même du haut degré où elle aimait à se croire perchée sur l’échelle sociale.

Mais ce fut bien autre chose quand elle sut qu’Erik était moins encore qu’un paysan — un enfant trouvé. Cela lui parut tout uniment monstrueux et déshonorant. Elle n’était pas éloignée de penser qu’un enfant trouvé prenait place, dans la hiérarchie des êtres, au-dessous du chat et du chien. Et ce sentiment se manifestait chez elle par les regards les plus dédaigneux, les silences les plus mortifiants, les avanies les plus cruelles. Erik était-il invité avec elle à une réunion d’enfants dans une maison amie ? elle refusait tout net de danser avec lui. À table, elle affectait de ne pas répondre à ce qu’il disait, ou de n’en tenir aucun compte. En toute occasion, elle prenait à tâche de l’humilier.

Le pauvre Erik avait deviné la cause de cette conduite peu charitable. Il lui était impossible de comprendre pourquoi ce malheur affreux de ne