Page:Vermersch - Les incendiaires, 1910.djvu/6

Cette page a été validée par deux contributeurs.

trente-cinq millions de prolétaires auront toujours la résignation de se laisser décimer et dévorer par deux cent mille familles fainéantes. Mais au moins qu’ils le sachent bien : jamais, jamais entre eux et la Bourgeoisie, il n’y aura de réconciliation sincère. Les protestations les plus ardentes des privilégiés ne sont autre chose que d’effrontés mensonges dictés par l’effroi de la première heure, et le peuple qui s’y laisse prendre n’est qu’un peuple de dupes. « Insensés que nous sommes ! — disait déjà Marat dans le no 29 de l’Ami du Peuple, — nos ennemis nous traitent comme des imbéciles : ont-ils tort ? nous ne sommes à leurs yeux que des animaux féroces, dont il faut éviter le premier coup de boutoir et que l’on peut ensuite mener avec un fil ! » Les temps n’ont pas changé ; toujours, maintenant comme alors, le peuple sait vaincre, mais il ne sait pas plus qu’alors profiter de sa victoire ; et c’est pourquoi j’ai voulu lui dire une fois encore ce que j’ai si souvent répété ailleurs :

« Mais donne donc le coup de boutoir ! »


 Londres, 1er janvier 1873.



  

I


Paris flambe à travers la nuit farouche et noire
Le ciel est plein de sang, on brûle de l’Histoire,
Théâtres et couvents, hôtels, châteaux, palais
Qui virent les Fleurys après les Triboulets,
Se débattent parmi les tourbillons de flammes
Qui flottent sur Paris comme les oriflammes
D’un peuple qui se venge au moment de mourir.
Le feu de pourpre et d’or monte comme un soupir
Vers les appartements secrets des Tuileries,
Lèche les plafonds peints et les chambres fleuries,
Et dévorant, au fond des boudoirs étoilés,
Les meubles précieux, les coffrets ciselés,
les laques, les tableaux et les blanches statues
dont l’orgueil virginal enfle les gorges nues,
Il montre dans la nuit au monde épouvanté
Comment tombe Paris drapé dans sa fierté.
Ce lourd entassement qu’étayaient des faits sombres,
Le Louvre aussi flamboie et s’écroule en décombres
Avec ses murs de marbre et ses portes d’airain
L’antre où rodait encor l’ombre de Mazarin,
Et qui frémit le jour qu’à la voix de Camille
Le peuple décida qu’on prendrait la Bastille,
Le palais de Philippe-Égalité n’est plus.
Ces pans de murs noircis, ces débris inconnus,
Ces pierres sur le sol, ce furent les Finances.