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LES INCENDIAIRES

AVERTISSEMENT




Voici maintenant quinze mois environ que ce poème des Incendiaires a vu le jour pour la première fois. Il eut en France, à son apparition, un grand retentissement, et aux clameurs qu’il souleva dans toute la presse, — dans les journaux tartufes de la République conservatrice, aussi bien que dans les feuilles dont les attaches à la police sont de notoriété publique, — je vis que j’avais mis le doigt sur la plaie. En effet, en disant que le mot d’ordre de la prochaine révolution doit être : plus de conciliation ! je devais exaspérer tout ce qui n’est pas le Peuple, — tout ce qui n’existerait plus depuis longtemps si, à chacun des mouvements insurrectionnels, la pitié des foules n’avait arrêté le bras à leur justice. Miséricorde stupide ! Pour que le but de la Révolution fût atteint, la vieille société liquidée, l’égalité définitivement fondée, il suffisait que le jour où il brisait la tyrannie, le Peuple modelât sa conduite sur celle de ses éternels adversaires et qu’il prît enfin sa revanche, lui aussi. Au lieu d’écouter les conseils de la logique, il préféra sourire niaisement à l’espoir d’une fraternité impossible. Que de fois, pourtant, n’a-t-il pas été le maître depuis la nuit du 14 juillet 1789 jusqu’au matin du 18 mars 1871 ! Et se peut-il qu’il oublie si vite de combien de milliers de cadavres il a payé à chaque fois la faute d’avoir pardonné à la Réaction ! On n’a pas fini de démolir la Bastille, que déjà les royalistes fusillent et envoient au bagne les soldats patriotes de Château Vieux et commencent à Nîmes leurs massacres du Midi, tandis que la bourgeoisie parisienne, déployant le drapeau rouge de la loi martiale, allait, sous les ordres de Lafayette et Bailly, piétiner dans le sang les faubouriens. Qu’on lise le récit des compagnons de Jéhu en 1796, et on ne pourra s’empêcher de se tenir les côtes devant les fantaisistes échafauds de 93, qui n’ont guère mérité l’honneur d’être pris au sérieux. Et la Terreur Blanche ! Et les émeutes Louis-Philippistes ! Transnonain ! Et la Croix Rousse ! Et les journées de juin ! Et les journées de mai !… Trouve-t-on que ce soient là de pressants motifs de conciliation ? Allons, l’expérience est faite : le peuple a toujours fait grâce, et jamais on ne lui fait merci. Il est certain que le Prolétariat et la Bourgeoisie sont dans un état de guerre inévitable, et qu’il faut que l’un ou l’autre périsse dans la bataille : reste à savoir si les