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souvenirs et promenades

me permette de revoir peut-être jamais. Bon Dieu, que je me le rappelle donc dans tous ses détails, ce joli village où j’arrivais quand septembre venait, grandi de quelques centimètres, puis d’un, puis d’un demi, puis quelques poils frisant au menton, jusqu’à ce qu’un jour je fusse barbu et esquissant une calvitie aujourd’hui outrageante, — croissance jusqu’au bout, constatée annuellement par un cran au couteau sur l’un des poteaux de la grange. — Ô la grange parfumée des foins d’il y avait deux et trois mois, et de la bonne odeur de l’étable où ruminaient et mugissaient de belles vaches donneuses de quel lait !

Ma tante, sévère et toute bonté, veuve sans enfants d’un colonel du Premier Empire, était Orléaniste et je vois encore, grande lithographie en un large cadre d’or, la bataille de Yalmy, avec le duc de Chartres, (aliàs Louis Philippe Ier) en houzard, par Horace Vernet, si n’erre ma mémoire, dans son salon du rez-de-chaussée, tout velours d’Utrech et boiseries blanches…

Ma tante mourut dans mes bras, ainsi, peu après qu’une autre sœur de mon père, demeurant dans un hameau tout proche, et je n’eus dès lors plus occasion de revoir ce beau pays.

Le souvenir de ces lieux et de ces temps me poursuit pourtant après tant d’années écoulées