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VI

Jusque-là, et depuis lors, je n’avais et je n’ai jamais été ce qu’on peut appeler malade ; car je ne compte pas le rhumatisme et ses suites, qui m’embêtent vraiment, m’empêchent dans mes affaires et m’ont valu la dcche et tout le bataclan, et depuis près de dix ans font de moi une espèce d’infirme bien portant, souvent rageur et parfois abattu… Mais on dit qu’avant la grande échéance, un chacun doit payer son tribut, sa dette pour parler plus modernement. Un soir donc, je me sentis pris de fièvre : rien de délicieux comme un commencement de fièvre ; c’est volatile, les idées (de pensée, on n’en a plus et quel bon débarras !) tourbillonnent en s’entrelaçant et se désenlaçant sans cesse et toujours. On ne sait plus où on en est, sinon qu’on s’y en trouve bien et mieux. C’est un peu comme certain moment de l’ivresse où l’on croit se rappeler qu’on a vécu le moment où l’on est, et le vivre ce moment-là. Seulement, ici, la sensation est si vague qu’elle n’en est plus sensation, mais caresse indéfinie, jouissance de néant meilleure que toute plé-