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confessions

le fait est que nous causions toujours ensemble, quand nous ne jouions pas, ce qui nous arrivait souvent. Quand l’un de nous n’était pas encore là (car je lui plaisais, je dois l’avouer, autant, ma foi, qu’elle me plaisait de son côté), c’était une attente, une impatience, et quelle joie, quelle course l’un vers l’autre, quels bons et forts et retentissants et renouvelés baisers sur les joues ! Parfois il y avait des reproches à propos du retard, des miniatures de scènes, des ombres peut-être de jalousie quand un garçon ou une fille mêlé à nos jeux, trouvait trop d’accueil d’une part ou d’une autre. Notre amitié si démonstrative avait été remarquée et l’on s’y intéressait ; elle amusait fort, entre autres gens, les officiers qui formaient une bonne part du public de ces concerts. « Paul et Virginie », disaient les commandants et les capitaines, restés classiques immédiats tandis que les lieutenants et sous-lieutenants, plus lettrés et d’instinct plus vif, insinuaient en souriant : « Daphnis et Chloé ! » Le colonel lui-même de mon père, qui devait être plus tard le maréchal Niel, se divertissait tout le premier à ces jeunes ardeurs, et nos parents, n’y voyant que ce qui y était foncièrement, naïveté et candeur, admettaient volontiers de tels gentils rapports.

… Madame, de qui, depuis si longtemps, j’ignore tout, jusqu’à votre nom actuel, si jamais ces lignes vous tombent sous les yeux, et, attendu que je suis