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quinze jours en hollande

plein à ce point qu’il ne tarda pas à dégénérer en un sommeil sérieux et prolongé assez pour que le crépuscule du soir eût fait allumer la lampe du plafond de mon coupé. Je maudis mon engourdissement de m’avoir empêché pendant une grosse heure au moins de m’appliquer à regarder des sites si nouveaux pour moi et qui devaient avoir varié pendant ma presque mort, et je me mis à la portière. Ah qu’oui, ils avaient varié, les sites !

Une immense étendue d’eau ensanglantée, dorée, verdie à l’horizon par les derniers efforts du couchant s’étalait immobile avec des voiles noires de bateaux à peine se mouvant dans l’obscurité croissante et le brouillard crépusculaire s’abattant. Ceci à gauche. À droite même spectacle. Un pont interminable de fonte sur lequel le train passait lentement, faisant un bruit régulier, puissant, presque terrible à force précisément de régularité dans la puissance… La nuit tout à fait venue, la vision d’eau s’effaça pour faire place à des villages qu’on eût cru submergés tant ils étaient environnés d’eau encore… mais enfin, c’était de l’humanité… Un clocher, des moulins à vent, des ombres de maisons piquées de lumières vacillantes dans la brume, c’est, paraît-il, Dordrecht. Un peu avant c’était le Moerdijk, si ma mémoire ne me trompe.

L’obscurité, la lassitude me firent encore me rentasser dans mon coin préféré, charmé d’un charme