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confessions

jours dans un appartement que nous occupâmes rue du Cardinal-Lemoine, quinzaine délicieuse, puérile et grave en même temps, qui devait cesser si tôt pour quelles années et pour quel avenir, Dieu vengeur !

Le 4 septembre éclata soudain comme une bombe malgré de déjà sinistres prévisions, mais le malheur surprend toujours. Hélas ! je l’accueillis avec un enthousiasme non coupable, puisque j’avais des convictions sincères et si désintéressées et que je restais patriote, oui, patriote et je sais tous les raisonnements là-contre que je comprends sans les admettre ; mais vraiment quand j’y réfléchis bien maintenant que je n’ai plus guère d’opinions autrement que philosophiques, c’était mal de ne pas voir la France dans le désastre de l’Empire, mais la seule République, cette République revenant, elle aussi, somme toute (mais, c’est vrai, ne revenant que pour défendre la patrie) dans ces fourgons de l’étranger, tant reprochés à cette plutôt malheureuse et maladroite que malhonnête Restauration de 1815.

Ma femme, risum teneatis, seize ans, toute à moi désormais et à son petit plutôt encore qu’à son jeune ménage, partageait, dirais-je ma joie quasiment impie, et c’était à la fois plaisir et pitié, à cause de sa gentillesse, précisément, à la fois, de l’entendre dire de sa voix de caresse puéril : « Maintenant que nous l’avons, tout est sauvé,