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mémoires d’un veuf


Le dîner est fini. Le café pris. Qui a été roi ? reine ? Qu’importe, hélas !

Car voici qu’on parle littérature, oui ! — et l’on ne s’entend pas.

C’est dommage. C’était si beau, madame, si rare, mossieu, — ce ménage patriarcal, cette calotte d’or, ce père de famille tout blanc qui tutoie l’un de ses gendres, celui qui est un peu éméché (l’autre gendre s’est toujours montré réfractaire à ces tendresses), c’était si beau, si rare, ce grand spectacle-là.

C’est précisément entre le gendre qui est un peu éméché et le superbe beau-père qu’a éclaté la discussion.

Celle-ci tourne à l’aigre. Des mots s’échangent, des allusions à la vie privée s’échappent ; de pots aux roses et de « cadavres » ; il en sera bientôt question, je le crains.

Cette période même est dépassée, la parole est à la vaisselle maintenant. Vous, gendre, qui êtes un peu éméché, vous avez tort d’ainsi jeter les assiettes, les verres et jusqu’à des carafes à la tête du père de votre moitié qui rit là-bas sous sa serviette. Et vous, gendre qui êtes si sérieux ce soir, remuez-vous donc un peu, et vous, sa femme, au lieu de lui serrer la patte sous la table, intervenez donc un peu, prenez pitié de maman qui crie depuis un quart d’heure au secours avec la persévérance d’un train en détresse.