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PIERRE DUCHATELET

C’était dans l’un des derniers mois du siège, au bastion Tant.

Il avait neigé la veille et gelé pendant la nuit. Il pouvait être huit heures du matin. Le ciel était rouge sur les villages et les forts de l’extrême horizon, et trouble sur la ville.

De temps en temps le canon des forts floconnait au lointain, une courte détonation s’ensuivait. On disait sceptiquement :

— Encore un que les Prussiens n’auront pas !

Car on commençait à désespérer du salut final et la colère montait à bien des têtes.

Le bataillon de garde attendait que les camarades vinssent le relever. La nuit blanche passée dans les casemates avait défait toutes les mines, fripé toutes les frusques. Ce n’étaient que faces jaunes ou violettes à cheveux et barbes emmêlés, que vareuses chiffonnées indiciblement, que capotes souillées aux coudes, aux épaules et partout. L’ennui d’une besogne inutile et presque ridicule somnolait dans ces yeux battus, rougis, caves, cernés, miteux ; l’in-