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élégies

Il ne me reste que les pépins et la peau.
Bah ! puisque je t’ai là, mon sort est le plus beau,
Ma part est la meilleure en ce monde d’une heure
Où l’amour seul nous éternise et seul demeure.
Mais toi, ma pauvre enfant, d’après les francs aveux
Ou ta noble confession, comme tu veux,
Tu jouissais encore plus que moi de la vie :
Les hommes à genoux comblaient ta moindre envie,
Tu nageais dans l’argent et tu roulais sur l’or.
Et, pour te faire heureuse et belle mieux encor,
Une passion vraie et forte t’avait prise.
Qui t’exalta longtemps comme un bon vin qui grise.
Tu fus sublime tous ces ans. Tout ton effort
Te bandait vers cet homme, et lorsqu’un désaccord
Inévitable vint sur vous, Sapho naïve.
Tu fis le saut de… Seine et, depuis morte-vive,
Tu gardes le vertige et le goût du néant.
Je le vois bien à ton regard souvent béant,
Qui néanmoins s’allume et se fixe, moins sombre
Sur pauvre moi transi, palpitant dans ton ombre
Et que cet éclaircie a soudain réjoui.
Et nous voici, moi donc, l’amour épanoui.
Tendre, orageux, soumis, et toi la sympathie.
N’est-ce pas ? laisse-moi le croire, ressentie
Pour tant d’affection offerte de ma part,
Mal peut-être, à travers des nerfs, d’un cœur hagard.
Mais tant ! Et nous voici, victimes reposées.
Tous deux seuls, mais tous deux, aux rancunes brisées,