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JADIS ET NAGUÈRE

« Quand je vous vois l’œil blanc et la lèvre pincée.
« Avec je ne sais quoi d’étroit dans la pensée
« Parce que je reviens un peu soûl quelquefois.
« Vraiment, en seriez-vous à croire que je bois
« Pour boire, pour licher, comme vous autres chattes,
« Avec vos vins sucrés dans vos verres à pattes
« Et que l’Ivrogne est une forme du Gourmand ?
« Alors l’instinct qui vous dit ça ment plaisamment
« Et d’y prêter l’oreille un instant, quel dommage !
« Dites, dans un bon Dieu de bois est-ce l’image
« Que vous voyez et vers qui vos vœux vont monter ?
« L’Eucharistie est-elle un pain à cacheter
« Pur et simple, et l’amant d’une femme, si j’ose
« Parler ainsi, consiste-t-il en cette chose
« Unique d’un monsieur qui n’est pas son mari
« Et se voit de ce chef tout spécial chéri !
« Ah ! si je bois, c’est pour me soûler, non pour boire.
« Être soûl, vous ne savez pas quelle victoire
« C’est qu’on remporte sur la vie, et quel don c’est !
« On oublie, on revoit, on ignore et l’on sait ;
« C’est des mystères pleins d’aperçus, c’est du rêve
« Qui n’a jamais eu de naissance et ne s’achève
« Pas, et ne se meut pas dans l’essence d’ici ;
« C’est une espèce d’autre vie en raccourci,
« Un espoir actuel, un regret qui « rapplique »,
« Que sais-je encore ? Et quand la rumeur publique.
« Au préjugé qui hue un homme dans ce cas,
« C’est hideux, parce que bête, et je ne plains pas