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énorme pour faire surgir d’un corps que la réalité marquait d’un sceau aussi commun une telle apothéose ! Si Steen ou Brouwer l’avaient peint, ils l’auraient campé en leurs cabarets, tout chargé de sa graisse, tout appesanti sous sa déformation, dans un débraillé cynique et obscène. Et jamais ni Terburg, ni Metsu n’en auraient fait usage, ne fût-ce que pour représenter l’humble domestique qui apporte sur un plateau quelque verre ou quelque fruit. Pour Rembrandt, au contraire, la réalité n’existe que pour autant qu’il la peut sublimer à force d’y concentrer de l’humanité attendrie et de la vérité profonde et pathétique. Cette vérité ardente et nue, cette humanité simple et grande deviennent peu à peu sa suprême préoccupation au fur et à mesure que les années noires et vides de la fin de son existence l’enveloppent.

Voici l’heure de son art le plus haut.

Malgré la tendresse de Henriette, malgré la filiale attention de son fils, l’angoisse, l’ennui, la pauvreté le cernent de plus en plus près. Il n’a de refuge qu’en lui-même. Sa souffrance et sa détresse, au lieu de l’abattre, l’exaltent. Il n’existe plus que pour son pinceau, ses couleurs, sa palette.

Une seconde fois, il compose une Leçon d’anatomie (1656, musée d’Amsterdam). Le professeur Deyman y est figuré tenant en main la calotte d’un crâne, tandis que le cadavre, les pieds tournés vers le spectateur, s’étend dans la hideur verte et bleue de la mort. La toile lut en partie