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une telle attente. Il n’aurait pu se plier à une convention aussi réaliste. Peintre de l’extraordinaire, fatalement, il lui fallut inventer quelque scène où l’étrange abolirait ce que le sujet avait de trop terre à terre. Il fit le tableau connu sous le titre : La Ronde de nuit, et jamais œuvre n’apparut aussi énigmatique, aussi soudaine et aussi bouleversante. À quelle heure, pour quel motif, dans quel ordre, en quelle ville ces hommes sont-ils réunis ? Si c’est une prise d’armes, pourquoi cette lumière de fête ? Pourquoi égarer là cette sorte de princesse vêtue d’or et de soie, cette naine des légendes qui attire vers elle l’unanime attention ? Pourquoi ces miroirs pendus à des piliers ? Personne n’a pu jusqu’à présent dénouer les mille nœuds de cette énigme. On se heurte aux conjectures et l’on peut se demander si Rembrandt lui-même a su quel sujet il traitait. Il est possible qu’il n’ait traduit qu’un rêve et qu’il l’ait peuplé de personnages guerriers uniquement parce que ceux-ci posaient devant lui. Quoi qu’il en soit, la scène telle qu’elle nous est présentée pourrait servir d’illustration à quelque comédie de Shakespeare où la fantaisie se mêle à l’analyse des caractères et même à quelque proverbe de Musset.

La Ronde de nuit valut à Rembrandt la disgrâce des bourgeois d’Amsterdam et l’engagea dans un dédale de contestations avec la gilde. Chacun des dignitaires se trouvait frustré dans ses espérances. Leur chef, le capitaine Banning Cock, mécontent comme tout le monde, s’adressa au peintre van der Helst pour qu’il lui restituât