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lieu qu’il porte en lui, dont il voit s’épanouir les flores, se cristalliser les minéraux et s’étaler les faunes ! Comme Shakespeare, dans son théâtre, il s’arrache à son temps et à son heure, pour se créer une vie frissonnante et nouvelle, une vie de gloire et de richesse, de somptuosité et de fièvre ; il est l’être nostalgique qui regrette tous les anciens paradis. Malheureusement la brutale réalité heurte toujours du choc formidable de ses blocs rugueux et compacts de telles existences qui ne tiennent pas compte de sa pesanteur.

La fantaisie qui présidait au ménage de Rembrandt émut, dès 1638, ses parents. Ils l’accusaient de dilapider l’héritage, de se ruiner en prodigalités folles, « en parures et en ostentation ». Il leur intenta un procès. Il n’obtint point gain de cause. Toute une surveillance aiguë et méchante s’acharna, dès ce moment, sur lui. Il eut beau continuer à vivre son rêve, désormais la vie rayonnante et pure en fut ternie. Son bonheur fut blessé — en attendant qu’il se cassât tout à coup comme une branche trop chargée de fruits et tombât violemment sur le sol.

Inopinément, Saskia mourut. Elle avait donné à Rembrandt quatre enfants, dont seul le dernier, Titus, âgé de six mois, survécut. On ignore la cause de cette mort. Dans son testament, Saskia institue son époux son légataire, elle lui donne l’usufruit de tous ses biens, elle le nomme tuteur de leur fils, sans qu’il doive rendre compte de son administration ; la charge d’élever Titus et de le doter était réservée. Ce deuil frappa Rembrandt le 19 juin 1642.