Page:Verhaeren - Rembrandt, Laurens.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

races et les pays. Il est de nulle part, parce qu’il est de partout.

Son histoire s’explique aisément si l’on tient compte de la spontanéité et de l’individualité élargie des génies. Certes, nul artiste n’échappe radicalement aux ambiances, mais la part de lui-même qu’il leur abandonne est variable, infiniment.

Telles natures ardemment trempées marquent la réalité à leur effigie au lieu d’en recevoir l’empreinte. Ils donnent beaucoup plus qu’ils n’acceptent. Si plus tard, dans l’éloignement des siècles, ils semblent traduire mieux que personne leur temps, c’est qu’ils l’ont recréé d’après leur cerveau et qu’ils l’ont imposé non pas tel qu’il était, mais tel qu’ils l’ont déformé. La France au XIXe siècle fut bien plus façonnée qu’exprimée par Bonaparte.

La Hollande au XVIIe siècle s’est éloignée de Rembrandt. Elle ne l’a ni compris, ni soutenu, ni célébré. À part quelques élèves et quelques amis, le peintre ne range, autour de lui, personne. De son vivant, Mierevelt, et, plus tard, van der Helst représentaient aux yeux du monde l’art néerlandais. Si aujourd’hui ces portraitistes sont descendus des sommets de la gloire pour s’asseoir à mi-côte de la montagne, c’est que l’Europe entière a reconnu et proclamé la maîtrise de Rembrandt. Il eut à subir les préférences de la foule pour les médiocres. Il apparaissait trop extraordinaire, trop mystérieux, trop grand. Les petits maîtres néerlandais ou bien peignaient des sujets gracieux et mondains, ou bien instauraient dans leurs