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et le deuil filtrer à travers leur chair, ils n’engloutissent point l’universelle humanité dans l’abîme d’un cœur ; les cris, les pleurs, les affres qui roulent de siècle en siècle et dont les patriarches Abraham, Isaac, Jacob, les rois Saül, David et Assuérus, les apôtres, les saintes femmes, la Vierge, le Christ ont recueilli le torrent dans leur âme, ne les inquiètent guère.

Au milieu d’eux, Rembrandt apparaît comme un prodige. Ou bien c’est lui qui exprime la Hollande, ou bien c’est eux. Il leur est opposé ; il leur est contraire. Eux et lui ne peuvent la représenter à une même heure de son histoire. Les partisans de la théorie tainienne sont dans l’obligation de choisir entre ces deux antithèses et leur choix ne peut être douteux.

Rembrandt aurait pu naître n’importe où. À n’importe quel moment, son art aurait été pareil. Peut-être eût-il omis de peindre une Ronde de nuit. Peut-être, en son œuvre, eût-on rencontré moins de bourgmestres et de syndics. Mais le fond n’eût point changé. Il se serait peint lui-même, avec un égoïsme admiratif et puéril, il aurait multiplié les traits des siens, enfin il eût recueilli partout, à travers le monde pathétique des légendes et des textes sacrés, les larmes et les beautés de la douleur.

Il a réalisé à son heure l’œuvre de Dante (XIIIe siècle), l’œuvre de Shakespeare et de Michel-Ange (XVIe siècle) et quelquefois, il fait songer aux prophètes. Il est debout sur les grands sommets qui dominent les temps et les