Page:Verhaeren - Rembrandt, Laurens.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La science moderne patiente, émietteuse, tatillonne, qui n’opère qu’avec des instruments précis, s’est réjouie d’avoir a inventorier un si large morceau de gloire. Elle l’a marqué à coups de dents menues, elle lui a rongé les angles, mais n’est point parvenue à en creuser par le dedans la masse énorme, magnifique et ténébreuse. C’est une critique, non pas par le dehors, mais au contraire par le dedans, que nous essayerons de produire ici.

La théorie de M. Taine sur la race, le moment et le milieu aurait à se montrer très subtile et très ingénieuse pour s’appliquer, sans qu’on la violentât, au génie d’Harmensz Rembrandt van Ryn, peintre magnifique et triste qui hante plus despotiquement peut-être que le Vinci lui-même, l’imagination et le rêve de ce temps-ci.

Comme tous les artistes de première grandeur, ni sa race, ni son milieu, ni l’heure de sa venue ne l’expliquent suffisamment.

Que les Metsu, les Terburg, les Pieter de Hooch ou bien les Brouwer, les Steen, les Craesbecke, les van Ostade subissent ces lois esthétiques, on l’admet. Ils sont les expressions de leur pays calme, propret, sensuel, bourgeois. Ils viennent en un temps de bien-être et de luxe. La prospérité et la gloire récompensent la Hollande de sa lutte séculaire contre la nature et contre les hommes. Ils ont, ces petits maîtres, toutes les qualités et les défauts de leurs concitoyens. Leur cerveau ne les tourmente pas, ils ne se haussent pas jusqu’aux grandes idées que proclament la Bible et l’histoire ; ils n’ont pas senti la détresse