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Les Rubens, les Titien, les Véronèse, les Velazquez ne sont pas même religieux. Ils trouvent dans la Bible et la légende de belles mises en scène ; ils interprètent les textes d’après leur fantaisie ; ils n’ont point le respect et l’adoration du sujet qu’ils interprètent ; ils ne descendent point assez profondément en eux-mêmes pour y découvrir le Dieu que tout grand homme porte en soi-même. L’art leur est plaisir, l’art les enflamme et les enivre : leurs chefs-d’œuvre sont une exaltation des belles formes de l’existence. Ils ont la vue, ils n’ont pas la vision. Rembrandt, tout comme Dante, comme Shakespeare, comme Hugo, est voyant. Jamais peintre ne le fut comme lui, et c’est pourquoi il les domine tous.

Il s’est, comme nous l’avons dit, libéré autant qu’on le peut, de son temps et de son milieu.

Et vraiment fallait-il qu’il le fît pour n’être que du pays et de l’heure de son imagination et de son rêve. Ainsi s’essore-t-il tout naturellement en plein prodige et le traduit-il tout naturellement par son pinceau.

Son tempérament, son caractère, sa vie, tout conspire à nous montrer son art tel que nous avons essayé de le définir. Une profonde unité les scelle. Et n’est-ce pas vers la découverte de cette unité-là, qui groupe en un faisceau solide les gestes, les pensées et les travaux d’un génie sur la terre, que la critique, revenue enfin de tant d’erreurs, devrait tendre uniquement ?

Ceux dont la postérité se souvient apparaissent, s’ils sont très grands, comme des forêts formidables et sau-