Page:Verhaeren - Poèmes, t1, 1895, 2e éd.djvu/84

Cette page a été validée par deux contributeurs.



78
poèmes


De vivre ainsi hautement, j’avais
Muette joie à me sentir et seul et triste,
Ne croyant plus qu’à ma perdurance d’artiste
Et à l’œuvre que je rêvais.

Celle qui se levait tranquille et douce et bonne
Et s’en allait par de simples chemins,
Vers les foyers humains,
Où l’on pardonne.

Ah ! comme il fut plombant ce soir d’opacité,
Quand mon âme minée infiniment de doutes,
En tout à coup d’arbre à terre barra mes routes
Et lézarda, craquement noir, ma volonté.

À tout jamais mortes, mes fermetés brandies !
Mes poings ? flasques ; mes yeux ? fanés ; mes orgueils ? serfs ;
Mon sang coulait péniblement jusqu’à mes nerfs
Et comme des suçoirs gluaient mes maladies.

Et maintenant que je m’en vais vers le hasard…
Dites, le vœu qu’en un lointain de sépulture,
Comme un marbre brûlé de gloire et de torture,
Rouge éternellement se crispera mon art !


(1887)