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les bords de la route

Que c’est à ces deux seins pâles que j’ai pendu
Mes désirs, mes orgueils et mes ruts de poète.

Et néanmoins je l’aime encore, quoique flétri,
Ce corps, horizon rouge ouvert sur ma pensée,
Arbre aux rameaux cassés, soleil endolori,
Ce corps de pulpe morte et de chair effacée,

Et je le couche en rêve au fond du bateau noir,
Qui conduisait jadis, aux temps chanteurs des fées,
Vers leurs tombeaux ornés d’ombre, comme un beau soir,
— Traînes au fil des eaux et robes dégrafées —

Les défuntes d’amour dont les purs yeux lointains
Brillent dans le hallier, les bois et dans les landes,
Et dont les longs cheveux d’argents et de satins,
Comme des clairs de lune, ardent dans les légendes.

Et comme elles, je veux te conduire à travers
Les fleuves et les lacs et les marais de Flandre,
Là-bas, vers les terreaux et les pacages verts
Et les couchants sablés de leur soleil en cendre,