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poèmes

La terre ocreuse était de micas chatoyée,
La même croix d’airain, que midi faisait d’or,
Tenait sur ses grands bras sa douleur déployée
Et semblait un oiseau qui prend un tel essor
Qu’il atteindra le ciel, d’un seul coup d’aile immense.

Depuis, les morts nouveaux ont écrasé les vieux
Et toujours cet enclos que le deuil ensemence
S’étend, vierge et muet, vide et silencieux,
Mêlant et remêlant les cendres aux poussières,
Les défunts aux défunts, les débris aux débris,
Sous le même soleil et les mêmes prières ;
Toujours les blés houleux entourent son mur gris.
Toujours sous le manteau de ses folles avoines,
De ses chiendents soyeux et de son gazon vert,
Il tient caché les corps des abbés et des moines,
Les mains jointes, le front du capuchon couvert.
Et cette antiquité de deuil réglementaire,
Ces mêmes morts toujours à d’autres succédant,
Qui rendirent jadis cet enclos légendaire,
Ont maintenu, dans notre âge de doute ardent,
Autour du deuil chrétien de ces trépas superbes,
Mystérieusement couchés dans ce coin noir,
Les mêmes bruits pieux de vent parmi les herbes