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poèmes

Enfin, la table est prête et dresse ses couverts.
Les vingt abbés, la croix d’argent sur leurs poitrines,
Sous les arbres dorés aux feuillages roussis,
Humant les lourds pâtés, les lards et les terrines,
Flanqués chacun d’un haut vassal, se sont assis.
On sert des paons, la queue épanouie en lyre ;
Des porcs, les flancs mordus de tridents ciselés ;
Des cuissots roux dont les odeurs d’ambre et de myrrhe
Fument d’entre les dents de grands bols crénelés ;
Aussi le grand gibier des cuisines royales :
Les sangliers, dont la hure, dans le festin,
Haineusement grimace et courbe ses crocs pâles,
Les aloyaux et les rognons de bouquetin,
Les filets raffinés, les volailles farcies,
Les daims sanglants, tués la nuit, aux alentours,
Les faisans adornés de grappes cramoisies
Et la chair des chevreuils avec des langues d’ours.

À gauche, au coin d’un lourd massif, entouré d’ormes,
Sur les tréteaux vêtus de velours damassés,
On mime, avec des cris et des clameurs énormes,
Jérusalem conquise et l’assaut des Croisés,
Le glaive au vent, sur la douve monumentale,