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poèmes

Plus solennel encor semble entrer le soleil.
L’encens éploie au loin ses bleuâtres spirales :
Vingt grands abbés, la mitre au front, le doigt vermeil,
Règnent, monumentaux comme des cathédrales.
Le drapeau monacal se reflète à l’écart,
Pesant d’orgueil sacré, dans des lambris de marbre.
Vingt hérauts, plastronnés de soie et de brocart,
Sont fixés, tout debout, chacun au pied d’un arbre
Dont, feuille à feuille, on a doré le dôme entier.
Et le soleil chrétien voit ces luxes rebelles
Trôner dans la splendeur d’un vallon forestier
Et sous le va-et-vient des papales flabelles.
Un repas colossal souffle, fourneaux béants,
Éructant vers l’azur sa flamme et sa fumée,
Par les gueules de fer des soupiraux géants.
Une odeur de mangeaille et de chair allumée
Et de sauces fleurant les gras parfums huileux,
Plaque au palais et fait suinter d’aise les bouches.
Les sièges, les divans et les coussins moelleux
Cerclent la table encor vide, comme des couches.
L’air est coupé de longs effluves altérants ;
Sur les velums tendus le vent plisse des moires ;
Des corbeilles de fruits bombent leurs tons safrans
Sur des plintes de chêne et sur des bords d’armoires,