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poèmes

Un coin calme, où bruit seule parmi l’épeautre,
La respiration onduleuse des blés.
Se regardant toujours et s’attirant l’un l’autre,
Ils se sont abattus, haletants et troublés.
Et c’est alors un cri des sens, une fringale,
Un assouvissement de désirs et d’instincts,
Un combat chair à chair de gouge avec son mâle,
Des étreintes de corps à se briser les reins,
Des vautrements si fous que l’herbe en est broyée
Comme après un assaut de vents et de grêlons,
Les buissons cassés net et la terre rayée
D’un grattage lascif de pieds et de talons.
Elle sert de sa chair autant qu’il en demande,
Sans crier, se débattre ou simuler des peurs,
Ne craignant même plus que le village entende
L’explosion d’amour, qui saute de leurs cœurs.
Ils songent aux fureurs échauffantes des bêtes,
Aux printemps allumant l’ardeur dans les troupeaux,
Aux chevaux hennissants, aux vaches toujours prêtes
À se courber au joug amoureux des taureaux.
Et lui, — roi de ce corps pâmé, lui maître d’elle,
Le choisi, parmi tous, pour mener le déduit,
La voyant dans ses bras frissonner comme une aile,
Sent son orgueil de gars puissant monter en lui.