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les flamandes

Tapant des pieds. Parfois les soudaines poussées
De nouveaux arrivants écrasent dans un coin
Le quadrille fougueux qui semble une bataille,
Et c’est alors à qui gueulera le plus haut,
À qui repoussera le flot vers la muraille,
Dût-il trouer son homme à longs coups de couteau.
Mais l’orchestre aussitôt redouble ses crieries
Et, couvrant de son bruit les querelles des gars,
Les mêle tous en des fureurs de sauteries.
On se calme, on rigole, on trinque entre pochards,
Les femmes à leur tour se chauffent et se soûlent.
L’acide du désir charnel brûlant leur sang,
Et dans ces flots de corps sautants, de dos qui houlent,
L’instinct lâché devient à tel point rugissant
Qu’à voir garces et gars se débattre et se tordre,
Avec des heurts de corps, des cris, des coups de poings,
Des bonds à s’écraser, des rages à se mordre,
À les voir se rouler ivres-morts dans les coins,
Se vautrant sur le sol, se heurtant aux bossages,
Suant, l’écume blanche aux lèvres, les deux mains,
Les dix doigts, saccageant et vidant les corsages,
On dirait — tant ces gars fougueux donnent des reins,
Tant sautent de fureur les croupes de leurs gouges —
Des ardeurs s’allumant au feu noir des viols.