Page:Verhaeren - Poèmes, t1, 1895, 2e éd.djvu/156

Cette page a été validée par deux contributeurs.
150
poèmes

La patrie ? Allons donc ! Qui d’entre eux croit en elle ?
Elle leur prend des gars pour les armer soldats,
Elle ne leur est point la terre maternelle,
La terre fécondée au travail de leurs bras.
La patrie ! on l’ignore au fond de leur campagne.
Ce qu’ils voient vaguement dans un coin de cerveau,
C’est le roi, l’homme en or, fait comme Charlemagne,
Assis dans le velours frangé de son manteau ;
C’est tout un apparat de glaives, de couronnes,
Écussonnant les murs de palais lambrissés,
Que gardent des soldats avec sabre à dragonnes.
Ils ne savent que ça du pouvoir. — C’est assez.
Au reste, leur esprit, balourd en toute chose,
Marcherait en sabots à travers droit, devoir,
Justice et liberté — l’instinct les ankylose ;
Un almanach crasseux, voilà tout leur savoir ;
Et s’ils ont entendu rugir, au loin, les villes,
Les révolutions les ont tant effrayés,
Que, dans la lutte humaine, ils restent les serviles,
De peur, s’ils se cabraient, d’être un jour les broyés.