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les flamandes


La Flandre — au coup de col de ses gros chevaux roux,
Bavochant de l’écume au branle de leur tête
Et pieds gluants — traînait son vieux travail de bête
Par à travers les blocs de ses lourds terreaux mous.

De la graisse d’humus et de labour, fondue,
Coulait dans le vent d’or d’automne — et lentement
Toute la plaine enflait sous ce débordement
De vie éparse aux quatre coins de l’étendue.

C’étaient, à l’angle clair d’un bois et d’un marais,
Des gars casseurs de terre, avec de grandes bêches ;
On entendait souffler leur corps d’ahans revêches
Et, d’un rythme visqueux, tomber des tas d’engrais.

Plus loin, les servantes tassaient les sacs, par groupes,
En mouchoirs rouges, en sabots noirs, en jupons bleus ;
Et se baissaient-elles : leurs reins, plies en deux,
Faisaient surgir du sol, monstrueuses, leurs croupes.

Et derrière eux l’Escaut poussait son flux vermeil,
Par au delà des prés et des digues masquantes,
Et les bateaux cinglaient, toutes voiles claquantes
Leur proue et leurs sabords souffletés de soleil.