Page:Verhaeren - Poèmes, t1, 1895, 2e éd.djvu/120

Cette page a été validée par deux contributeurs.



114
poèmes

L’orée et le sentier boueux, les bois chenus,
Bien que Mars ait craché ses poumons en rafales.
Pourtant l’on voit déjà des groupes de fermiers,
Avec leurs lourds chevaux, lustrés de blancheurs crues,
Dans les champs, divisés par cases de damiers,
Couper le sol massif, au tranchant des charrues.
Déjà l’on sème. Un grand vieillard, qui va rêvant,
Semoir autour des reins, jette à pleines poignées
Les graines d’or, qu’abat un brusque coup de vent.
Les sillons sont à point ; les bêches alignées
Reluisent d’un feu blanc sous les coups du soleil,
Et Mai paraît, le mois des fleurs aromatiques,
Et servantes et gars, en rustique appareil,
Habits usés, bras nus, sabots au bout des piques,
Qui de l’aurore au soir fatiguent les labours.
Voici : les champs sont pleins, les fermes délaissées,
On en remet la garde aux chiens veilleurs des cours,
La glèbe, avec des mains calleuses, convulsées,
Avec fièvre, avec joie, avec acharnement,
La glèbe, pied par pied, coin par coin, est conquise ;
Partout la lutte et la sueur, le groupement
Des efforts arrachant la récolte promise :
Femmes sarclant le lin, hommes tassant l’engrais,
Chevaux traînant la herse à travers les cultures,