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Poison et miel, blessure et baume, alcool et vin ;

Mordre sa proie et ne l’abandonner enfin

Qu’après le coup de dent qui lui ouvre la tombe !


Tous deux, à l’heure où l’aube plombe

Les champs flamands de ses brouillards,
Les doigts crispés en des gestes hagards,
Le corps pillé, l’œil sans lumière,
Furent trouvés nus et défunts, dans la chaumière.
Les chats, les chiens, les rats s’étaient enfuis,
À bons velus, parmi la nuit,
Et doucement se lamentaient au bord du fleuve ;
Les tours et leurs bourdons pleuraient comme des veuves,
De loin en loin, et sur le seuil d’Armenz le fol,

Un arbre, abattu net, fendait le sol.


Dans un coin morne et condamné,
On enterra, côte à côte, les morts damnés.


Les fils d’Armenz seuls y prièrent.

Et le printemps venu, ils y plantèrent

Quelques roses, les plus simples de leur bruyère.


Mais la moindre s’étiola,

Tellement les deux morts qui dormaient là,
Brûlaient encore, du fond de leur misère,

La sève et la santé qui font verdir la terre.