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Se brisèrent, entre des doigts de femme ;
Des poètes, clairs
De leur ivresse et de leur flamme,
Qui périrent, en chantant l’air
Triste ou joyeux, qu’aimait leur dame.

Voici les ravageurs et les ardents
Dont le baiser masquait le coup de dents ;
Les doux héros de la joie ineffable
Dont la mémoire en fleur enguirlande les fables ;
Les violents et les battus du sort,
Ivres de l’inconnu que leur offrait la mort.

Plus loin, les fous dont le vertige aimait l’abîme
Qui dépeçaient l’amour en y taillant un crime ;
Plus loin, les saints et les visionnaires
Qui conquéraient le ciel, à travers les tonnerres ;
Enfin, les princesses, les reines,
Mortes, depuis quels temps et sur quels échafauds ?
Quand le peuple portait des morts, comme drapeaux,
Devant ses pas rués, vers la conquête humaine.

Égarons-nous mon âme, en ces cryptes de deuil,
Où, sous chaque tombeau, où dans chaque linceul,
On écoute les morts si terriblement vivre.