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On se pille les chairs, abandonnées
En des nuits d’or et d’hyménées,
Avec des mains hallucinées.

On aborde de grandes plages,
Où les poings fous des flux et des orages
Cassent l’aurore et ses mirages.

On s’espère : immortels ; on se crie : invincibles
Et l’on fixe toujours plus loin la cible
Du but suprême et impossible.

On boit sa soif ; on mord sa faim ;
On s’exténue, on se ranime, on se dévore
Et l’on se tue et l’on se plaint
Et l’on se hait — mais on s’attire encore.

Ô tes beaux yeux si doux et si funestes,
Tes yeux irresponsables de ma mort,
Tes yeux si clairs et qui s’attestent
Ceux que darde, vers moi, le sort.

Ô leur brûlante et malfaisante joie,
Sous la froideur soudain pâle du front,