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La demoiselle
Nourrit en elle
L’amour d’une amour infidèle
Silencieusement.
Seul, le curé, qui la confesse,
Connaît sa faute et sa faiblesse
Et quel bourreau fut son amant !
Ils n’en parlent jamais, bien qu’ils y pensent
Avec tristesse ou violence,
Quand le prêtre, les dimanches, s’en vient
Parler de tout, parler de rien,
Jusqu’au moment où dans l’ombre et la brume,
Le premier réverbère, au bord du quai, s’allume.

La demoiselle en noir s’est lentement flétrie,
À recompter, dans son âme, les jours
Qui lui furent douceur et menterie,
Et qu’elle aime et déteste toujours.
Elle a beau se blottir dans son coin tiède,
L’ombre de ses regrets et de son deuil obsède
Même l’heure où le soleil glisse sur son front las.
Tel qui passe par la ville peut croire
Qu’elle guette, du haut d’un morne observatoire,
Depuis des ans, quelqu’un qui ne vient pas.