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C’est là que je vécus mon enfance angoissée,
Parmi les gens de peine et de métier,
Corroyeurs, forgerons, calfats et charpentiers,
Avec le fleuve immense au bout de ma pensée.


Les jours de franc soleil et de belle saison,
Aux fenêtres de ma maison
Je regardais passer et luire
La voile au vent des beaux navires.
J’étais l’ami de l’horloger et du charron
Et du vannier et du marchand de cordes.
J’étais un vaurien doux : toute la horde
Des va-nu-pieds m’appelaient par mon nom ;
Et les mois d’or et de fruits rouges
J’allais, le soir venu, de bouge en bouge,
Chercher l’un d’eux pour m’en aller,
Avec son aide, à pas légers,
Voler
Dans les vergers.


Jean Til, le vieux sonneur de messe,
Pour me complaire un peu m’amenait voir,
L’été, avant que ne tombât le soir,
Le gros bourdon qui sonnait les kermesses.