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Et puis, qu’allaient-ils faire au fond des plaines
Ces autres pas qu’on entendait, vers la Noël,
Venir en masse, à travers neige et gel,
D’au delà de l’Escaut massif et léthargique ?
Une lueur rouge et tragique
Mordait le ciel. Ils se rendaient, au long des bois,
Depuis quels temps, toujours au même endroit,
Près des mares que l’on disait hantées ;
On entendait des cris, pareils à des huées
Monter. Et seul, le lendemain,
Le fossoyeur partait, la bêche en main,
Cacher là-bas, sous les neiges étincelantes,
Un tas de rameaux morts et de bêtes sanglantes.


Mon âme en tremble encor et mon esprit
Revoit toujours le fossoyeur qui passe
Et quand la fièvre ameute en moi, la nuit,
Les troubles visions de ma cervelle lasse,
Les pas que j’entendis étant enfant,
Oreille au guet, genoux serrés et cœur battant,
En mes heures de veille ou de souffrance blême,
Terriblement, me traversent moi-même
Et font courir leur rythme dans mon sang.

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