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Pourtant l’apôtre errant suivit la multitude :
Le mort gisait au pied de l’arbre et regardait,
Fixement, eût-on dit, sa propre turpitude.
L’œil était sombre et morne et dur ; il obsédait ;
Les lourds abois d’un chien montaient dans le tumulte ;
Des gens passaient, jetant au cadavre l’insulte
Et se montraient cruels pour se cacher leur peur.
Jean sentit la pitié dominer son horreur.
Il songeait à l’écart : Pourtant il fut des nôtres ;
Pendant trois ans son cœur fut le cœur d’un apôtre ;
Il pardonna souvent lorsqu’il eût dû punir,
Et Jésus-Christ l’aima, qui savait l’avenir.
Alors, sans hésiter, Jean traversa les houles
Et les fureurs toujours plus denses de la foule
Et, soulevant le corps entre ses bras pieux,
Avec des doigts très purs il lui ferma les yeux.
Puis, il le prit pour le porter lui-même en terre.
Quelqu’un l’accompagna vers les lieux solitaires,
Et, sans parler, tous deux enfouirent Judas.

Ainsi jusqu’au matin où Christ ressuscita,