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Enfin, l’aube paraît :
Au bas d’un ciel d’encre et de cendre,
Le flot, sombre et sournois,
Qui s’acharna contre ce coin de Flandre,
À bout de rage et de haine sauvage,
Décroît.

III

Sur la plaine de deuil, de vase et de ruine,
Immensément, ne choit que l’ombre et la bruine ;
Le bourg, qui s’exaltait déjà vers le printemps,
Est encombré de crasse et de fumiers flottants ;
Volets fendus, seuils crevassés, ferrailles tortes,
La mort putride a défoncé toutes les portes
Et charrié, vers la rivière et ses remous,
Les meubles vieux fixés aux murs, avec des clous,
Les horloges, les bancs, les lits et les armoires ;
On a peur de rentrer dans les étables noires,
De monter aux greniers, où s’entassaient les grains,
De constater que tant d’efforts ont été vains.

Mais déjà, sur la berge, en aval du village
Cordiers, pêcheurs, vanniers, cardeurs et tisserands,
Se disputent entre eux, au détour des courants,
Quelques fuyants débris de leur défunt ménage.

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