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Les bœufs, au fond des prés, là-bas,
Meuglent et meuglent.
Au coin d’un mur s’est appuyé l’aveugle,
Et son bâton noueux

Frappe, d’un geste vain, le vide, à l’aventure
Une flamme, soudaine, envahit les pâtures :
Le sot du bourg, sans qu’on le voie, a mis le feu
À la grange du coin, où s’étendent les mares ;
Il danse, et ses deux poings entrechoquent deux jarres.

Et le flot monte encor et monte
D’une poussée infatigable et prompte.

Là-haut, de vieilles gens sont grimpés sur leur toit ;
On les surprend, à la lueur de l’incendie,
Levant éperdument vers Dieu, leurs mains grandies.
Le chaume entier s’enfonce et cède sous leur poids.
Leurs pieds brûlent ; l’horreur bouleverse leurs faces ;
Leurs poings pour ne plus voir s’enfoncent dans leurs yeux ;
La poutre craque et puis se fend par le milieu ;
Alors un cri si noir troue au cœur tout l’espace,
Et tant de peur humaine en ce seul cri s’amasse,
Qu’à l’entendre monter le silence se fait.