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Ils s’assoient dans les plis cassés droit de leurs bures,
Tels que des chevaliers dans l’acier des armures.

Ils portent devant eux leur grande crosse en buis,
Majestueusement comme un glaive conquis.
 
Ils parlent au chapitre en justiciers gothiques,
Et leur arrêt confond les pénitents mystiques,
 
Ils rêvent de combats dont Dieu serait le prix
Et de guerre menée à coup de crucifix.
 
Ils sont les gardiens blancs des chrétiennes idées
Qui restent au couchant sur le monde accoudées.
 
Ils vivent sans sortir de leur rêve infécond,
Mais ce rêve est si haut qu’on ne voit pas leur front.

Leur chimère grandit et monte avec leur âge
Et monte d’autant plus qu’on la cingle et l’outrage.
 
Et jusqu’au bout leur foi luira d’un feu vermeil
Comme un monument d’or ouvert dans le soleil.



SOIRS RELIGIEUX



Le déclin du soleil étend jusqu’aux lointains
Son silence et sa paix que nul bruit net ne plisse,
Les choses sont d’aspect photographique et lisse
Et se détaillent clair sur des fonds byzantins.

L’averse a sabré l’air de sa pluie et sa grêle.
Et voici que le ciel luit comme un parvis bleu.
Et que c’est l’heure où meurt à l’occident le feu
Où l’argent de la nuit à l’or du jour se mêle.

Sur l’horizon plus rien ne marque, si ce n’est
Une allée immobile et géante de chênes
Se prolongeant d’un trait jusqu’aux fermes prochaines
Le long des champs en friche et des coins de genêt.

Ces arbres vont — ainsi des moines mortuaires
Qui passeraient, le cœur assombri par les soirs,
Comme jadis partaient les longs pénitents noirs
Péleriner, là-bas, vers d’anciens sanctuaires.

Et la route d’amont toute large s’ouvrant
Sur le couchant rougi comme un plant de pivoines.
À voir ces arbres nus, à voir passer ces moines,
On dirait qu’ils s’en vont ce soir, en double rang,